Le goût du Ventoux, en version nature
Le Ventoux, massif sauvage de lumière et de vent, est aussi un territoire discret de viticulture en mutation. Depuis une décennie, la conversion à l’agriculture biologique s’y accélère. Si l’étiquette bio séduit — consommateurs, prescripteurs et touristes de passage en quête d’authenticité —, qu’en est-il pour celles et ceux qui font ce choix de l’autre côté du chai ? Au-delà de l’éthique ou de l’environnement, la question économique s’ancre rapidement : combien coûte la conversion ? Qu’apporte-t-elle concrètement à un domaine du Ventoux, souvent familial, parfois exigu, toujours engagé du matin au soir ?
Concrètement, la conversion au bio débute par une période de transition règlementaire de trois ans (“conversion”) pendant laquelle le domaine applique les pratiques biologiques reconnues, sans pouvoir l’indiquer sur son vin (sauf au terme de la phase). Cette période s’accompagne généralement d’une adaptation en profondeur des pratiques et outils.
L’État, l’Europe et la Région Sud PACA proposent un ensemble d’aides dédiées aux exploitants souhaitant franchir le pas vers le bio :
Cependant, ces aides partent en s’érodant et ne couvrent presque jamais les surcoûts en totalité, d’autant plus que les délais de paiement peuvent atteindre 12 à 24 mois, mettant parfois les trésoreries à rude épreuve.
La période de conversion implique de nouveaux modes de gestion souvent éprouvés : abandon du désherbage chimique, recours à des traitements plus souples, pression accrue du mildiou – notamment sur le millésime 2023 frappé par une pluie constante au printemps (Ventoux inclus). En moyenne, selon FranceAgriMer, la perte de rendement pendant les trois premières années de conversion varie de 10 à 30 % selon les parcelles et les millésimes.
À cette baisse, s'ajoutent parfois les doutes commerciaux. Sans label reconnu, le vin des premières années de conversion n’est ni vendu au prix du bio, ni toujours accepté de plein droit dans certains réseaux de distribution spécialisés.
Lorsqu’un domaine franchit la barrière de la certification, la question du prix de vente se pose avec acuité. En théorie, le vin bio se vend mieux. Les chiffres de l’Agence Bio montrent qu’un vin certifié bio s’écoule en moyenne 20 à 25 % plus cher sur le marché français qu’un vin conventionnel comparable (données 2022). La réalité dans le Ventoux, un terroir où la notoriété commence à peine à tutoyer celle des voisins de la vallée du Rhône, demeure toutefois plus nuancée.
Plusieurs clés émergent chez les domaines du Ventoux pour neutraliser les risques économiques :
L’équation économique de la conversion au bio reste mouvante. La météo extrême, l’évolution (parfois restrictive) de la règlementation, l’augmentation du coût du cuivre, la pression sanitaire, le niveau d’aides publiques, et le dynamisme de la filière (locale et nationale) façonnent chaque campagne.
Un point clé ces dernières années : la forte croissance du vignoble bio national (plus de 25 % en Provence, progression parmi les plus fortes de France) coexiste avec un tassement du marché national en volume (-8 % de vente de vin bio en GMS en 2022, Nielsen). Néanmoins, au Ventoux comme ailleurs, l’agriculture biologique reste la filière qui attire des profils neufs, héritiers et néo-vignerons plus enclins à l’innovation commerciale.
Julien, domaine familial de 14 hectares sur le piémont sud, a basculé en conversion bio en 2019 :
De nombreux récits semblables composent la trame invisible du Ventoux : un mouvement lent, opiniâtre, mais porté par la recherche de cohérence économique, humaine et écologique.
Le Ventoux incarne une transition unique : sol vivant, climat méditerranéen, héritage paysan. Il faut aussi mesurer qu’au-delà du seul impact financier, la conversion bio transforme la relation au terroir, au paysage, à la communauté locale. Les domaines qui s’en sortent le mieux ne sont pas les plus grands ou les plus puissants, mais ceux qui expérimentent, racontent, fédèrent autour de leur démarche, dans une dynamique de territoire.
La conversion biologique est un pari : les risques immédiats ne sont pas minces, mais se voient peu à peu équilibrés par une meilleure valorisation, une demande qui ne cesse de croître pour les vins vivants du Ventoux… et ce capital humain — vigneronnes et vignerons — qui fait du bio, dans ses réussites comme dans ses épreuves, un choix de société autant qu’une équation économique.