Le goût du Ventoux, en version nature
Posé à mi-pente sud-est du mont Ventoux, Mormoiron ne ressemble à aucun autre village de la région. Ici, la vigne fait partie du paysage depuis l’Antiquité, dialogue permanent entre l’homme et la garrigue, le vent et la lumière. Mais ce sont surtout les sols, riches en sables rouges, en ocres et en marnes du Miocène, qui forgent aujourd’hui la réputation de Mormoiron parmi les zones les plus emblématiques de la viticulture biologique du Ventoux (INAO).
La mosaïque de terroirs — entre 180 et 350 mètres d’altitude — offre une diversité rare dans l’appellation Ventoux. Cette singularité géologique favorise la culture biologique : les sols sableux sont bien drainés, peu compacts, ce qui limite naturellement les maladies de la vigne. Les vignerons locaux le confirment : ici, la lutte contre les maladies cryptogamiques (mildiou, oïdium) est souvent moins ardue qu’ailleurs.
Si la culture biologique a pris racine tardivement en Ventoux — essor surtout depuis les années 2000 —, Mormoiron a vu certains de ses vignerons amorcer cette transition dans les années 1980 déjà. Le Domaine Solence fut l’un des tout premiers du secteur à obtenir la certification AB en 1992 (Domaine de Solence), quand la viticulture bio restait marginale en Vallée du Rhône.
Pourquoi ici ? Plusieurs raisons se conjuguent :
Dès les années 2000, la demande sociale – tourisme vert, marchés paysans, sensibilisation aux paysages – vient renforcer ces choix. En à peine vingt ans, Mormoiron est devenue un pôle du bio régional, regroupant aujourd’hui plus de 25 domaines certifiés ou en conversion sur sa seule commune et celles voisines (données Syndicat AOC Ventoux, 2023).
Ce qui frappe à Mormoiron, c’est la diversité des parcours et des profils parmi les producteurs en bio. On y croise des autodidactes revenus à la terre, de jeunes ingénieurs décidés à expérimenter la permaculture, des héritiers de domaines historiques, mais aussi des néo-vignerons installés grâce à l’appel du Ventoux.
Quelques figures illustrent cet esprit:
La transmission s’organise aussi à travers des ateliers, des stages, et des chantiers participatifs, initiés par ces domaines ouverts : vendanges collectives, taille de formation, initiation au compostage. C’est bien plus qu’un mouvement de production, c’est un tissu vivant — averti, solidaire, tourné vers l’avenir.
Le passage au bio n’est pas une simple question de label. Autour de Mormoiron, la conversion a impliqué des choix agronomiques parfois radicaux, dictés par le sol, le climat et la pression des aléas météorologiques.
Le climat méditerranéen se fait plus sec, plus chaud, chaque décennie. Dans ce contexte, les vignerons de Mormoiron développent des savoirs-faire :
À la marge du Parc Naturel Régional du Ventoux, Mormoiron est un laboratoire de la biodiversité viticole :
Ici, la vigne ne se confond pas seulement avec le vin, mais avec tout un réseau de circuits courts et une économie paysanne assumée. Une quinzaine de caves particulières ouvrent leurs portes toute l’année, proposant à la fois vin, jus de raisin, huile d’olive, parfois aussi fruits ou légumes bio.
Cette dynamique s’inscrit dans un territoire qui attire — chaque été, près de 40 000 œnotouristes visitent les caveaux et marchés à proximité de Mormoiron (Office de Tourisme Intercommunal Ventoux Sud, 2023). Plus de 55 % des ventes des domaines se font en vente directe ou sur les marchés locaux, bien au-delà de la moyenne nationale pour la filière bio.
Cette valorisation se double d’un impact marqué sur le territoire : plus d’emplois agricoles à l’hectare, maintien des haies et vergers associés, animation sociale tout au long de l’année.
Rien n’est gagné d’avance à l’ombre du Ventoux : le réchauffement climatique, la pression foncière et la difficulté d’installer de nouveaux jeunes pèsent sur le modèle. Mais à Mormoiron, l’expérience accumulée en bio donne confiance dans la capacité collective à s’adapter, à valoriser davantage le lien entre sol et vin, à renforcer l’identité singulière du territoire.
Des projets expérimentaux voient le jour, comme la plantation de cépages résistants (floreal, vidoc, artaban), l’installation de petits bassins de rétention pour l’irrigation raisonnée, ou le développement de programmes d’accueil éco-touristique, basés sur l’expérience de la vigne naturelle.
Plus qu’un label, la voie bio à Mormoiron est une culture quotidienne, où chaque vendange raconte une manière différente d’habiter la terre. Ce dialogue permanent, entre engagement humain et intelligence paysanne, donne le ton à tout le Ventoux.