15 juillet 2025

Mormoiron, cœur battant du Ventoux bio : entre terre, histoire et engagement

Le goût du Ventoux, en version nature

Un village, des sols, une identité

Posé à mi-pente sud-est du mont Ventoux, Mormoiron ne ressemble à aucun autre village de la région. Ici, la vigne fait partie du paysage depuis l’Antiquité, dialogue permanent entre l’homme et la garrigue, le vent et la lumière. Mais ce sont surtout les sols, riches en sables rouges, en ocres et en marnes du Miocène, qui forgent aujourd’hui la réputation de Mormoiron parmi les zones les plus emblématiques de la viticulture biologique du Ventoux (INAO).

La mosaïque de terroirs — entre 180 et 350 mètres d’altitude — offre une diversité rare dans l’appellation Ventoux. Cette singularité géologique favorise la culture biologique : les sols sableux sont bien drainés, peu compacts, ce qui limite naturellement les maladies de la vigne. Les vignerons locaux le confirment : ici, la lutte contre les maladies cryptogamiques (mildiou, oïdium) est souvent moins ardue qu’ailleurs.

  • Superficie viticole sur Mormoiron : près de 600 hectares, dont près de 70 % en bio ou conversion bio (chiffres 2023, Agence Bio).
  • Rendements : Souvent plus faibles qu’en plaine, ces rendements modérés (de 25 à 40 hl/ha) favorisent la concentration des jus et la préservation des équilibres naturels.

Une histoire pionnière de la viticulture biologique

Si la culture biologique a pris racine tardivement en Ventoux — essor surtout depuis les années 2000 —, Mormoiron a vu certains de ses vignerons amorcer cette transition dans les années 1980 déjà. Le Domaine Solence fut l’un des tout premiers du secteur à obtenir la certification AB en 1992 (Domaine de Solence), quand la viticulture bio restait marginale en Vallée du Rhône.

Pourquoi ici ? Plusieurs raisons se conjuguent :

  • Des exploitations familiales, à taille humaine, souvent moins enclines à l’hyperproductivisme des plaines.
  • Une tradition d’écoute et d’observation du vivant — nombreuses sont les mémoires paysannes qui racontent avoir “toujours fait attention à la lune, au vent, à l’équilibre des sols”.
  • Une dimension alternative déjà présente, avec des pionniers ouverts à la polyculture, à l’agrobiologie, parfois à la biodynamie.

Dès les années 2000, la demande sociale – tourisme vert, marchés paysans, sensibilisation aux paysages – vient renforcer ces choix. En à peine vingt ans, Mormoiron est devenue un pôle du bio régional, regroupant aujourd’hui plus de 25 domaines certifiés ou en conversion sur sa seule commune et celles voisines (données Syndicat AOC Ventoux, 2023).

Vignerons, vigneronnes : une génération engagée sur le terrain

Ce qui frappe à Mormoiron, c’est la diversité des parcours et des profils parmi les producteurs en bio. On y croise des autodidactes revenus à la terre, de jeunes ingénieurs décidés à expérimenter la permaculture, des héritiers de domaines historiques, mais aussi des néo-vignerons installés grâce à l’appel du Ventoux.

Quelques figures illustrent cet esprit:

  • La famille Arnoux (Domaine les Terres de Solence) : pionnière du bio, installée depuis plus de 30 ans, elle a fait de la polyculture et de la vinification naturelle son credo.
  • Bénédicte et Stéphane Dubruille (Domaine des Anges) : convertis au bio dans les années 2010, ils sensibilisent aujourd’hui autour de l’agroécologie et de la biodiversité dans leurs parcelles, en plantant haies, arbres et nichoirs.
  • Pascale et Franck Besson (La Ferme Saint Martin) : à la frontière de Mormoiron et Suzette, connus pour leurs essais en biodynamie et l’expérimentation de cépages oubliés, comme le Counoise ou le Picpoul noir.

La transmission s’organise aussi à travers des ateliers, des stages, et des chantiers participatifs, initiés par ces domaines ouverts : vendanges collectives, taille de formation, initiation au compostage. C’est bien plus qu’un mouvement de production, c’est un tissu vivant — averti, solidaire, tourné vers l’avenir.

Des pratiques agricoles adaptées aux défis du Ventoux

Le passage au bio n’est pas une simple question de label. Autour de Mormoiron, la conversion a impliqué des choix agronomiques parfois radicaux, dictés par le sol, le climat et la pression des aléas météorologiques.

Gestion de la sécheresse et de l’érosion

Le climat méditerranéen se fait plus sec, plus chaud, chaque décennie. Dans ce contexte, les vignerons de Mormoiron développent des savoirs-faire :

  1. Enherbement maîtrisé : Semis de légumineuses et de graminées entre les rangs, pour limiter l’érosion du sol (notamment sur les pentes sableuses) et favoriser la vie microbienne.
  2. Paillage organique : Apport de matière végétale (foin, sarments broyés) pour retenir l’humidité et baisser la température au pied des ceps. Testé depuis 2017 sur plus de 40 hectares, ce procédé a prouvé sa capacité à réduire les besoins d’arrosage de 30 % selon la Chambre d’Agriculture de Vaucluse.
  3. Travail du sol limité : Relais mécanique au cheval sur certaines micro-parcelles, pour éviter le tassement et préserver la faune du sol.

Biodiversité et écosystèmes en action

À la marge du Parc Naturel Régional du Ventoux, Mormoiron est un laboratoire de la biodiversité viticole :

  • Haies et bosquets conservés : 12 % des parcelles viticoles sont entourées de haies, selon un diagnostic de 2022 réalisé par le PNR Ventoux.
  • Refuges pour les oiseaux et la faune auxiliaire : Plus de 40% des domaines installent nichoirs à mésanges et percussion de jachères fleuries, favorisant ainsi un écosystème où le recours aux produits phytosanitaires, même bio, est considérablement réduit.

Mormoiron et la valorisation bio dans l’économie locale

Ici, la vigne ne se confond pas seulement avec le vin, mais avec tout un réseau de circuits courts et une économie paysanne assumée. Une quinzaine de caves particulières ouvrent leurs portes toute l’année, proposant à la fois vin, jus de raisin, huile d’olive, parfois aussi fruits ou légumes bio.

Cette dynamique s’inscrit dans un territoire qui attire — chaque été, près de 40 000 œnotouristes visitent les caveaux et marchés à proximité de Mormoiron (Office de Tourisme Intercommunal Ventoux Sud, 2023). Plus de 55 % des ventes des domaines se font en vente directe ou sur les marchés locaux, bien au-delà de la moyenne nationale pour la filière bio.

  • Mise en avant du label bio : 80 % des domaines l’apposent sur leurs bouteilles, et beaucoup participent aux journées portes ouvertes « De ferme en ferme » ou à la Fête du Ventoux Bio chaque printemps.
  • Participation à la relocalisation alimentaire : Certains groupes scolaires et restaurants du secteur s’approvisionnent exclusivement en vins issus de domaines bios locaux.

Cette valorisation se double d’un impact marqué sur le territoire : plus d’emplois agricoles à l’hectare, maintien des haies et vergers associés, animation sociale tout au long de l’année.

Perspectives et enjeux pour demain

Rien n’est gagné d’avance à l’ombre du Ventoux : le réchauffement climatique, la pression foncière et la difficulté d’installer de nouveaux jeunes pèsent sur le modèle. Mais à Mormoiron, l’expérience accumulée en bio donne confiance dans la capacité collective à s’adapter, à valoriser davantage le lien entre sol et vin, à renforcer l’identité singulière du territoire.

Des projets expérimentaux voient le jour, comme la plantation de cépages résistants (floreal, vidoc, artaban), l’installation de petits bassins de rétention pour l’irrigation raisonnée, ou le développement de programmes d’accueil éco-touristique, basés sur l’expérience de la vigne naturelle.

Plus qu’un label, la voie bio à Mormoiron est une culture quotidienne, où chaque vendange raconte une manière différente d’habiter la terre. Ce dialogue permanent, entre engagement humain et intelligence paysanne, donne le ton à tout le Ventoux.

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