Le goût du Ventoux, en version nature
Les cépages oubliés, aussi appelés cépages modestes ou cépages rares, sont des variétés de vignes qui ont été abandonnées au cours du siècle dernier pour des raisons économiques ou pratiques. Trop peu productifs, trop sensibles, ou simplement hors des standards de goût imposés par un marché uniformisé, ils ont été écartés au profit de cépages plus « faciles » comme le Grenache, la Syrah ou le Merlot.
Or, l’agriculture biologique et biodynamique, en restaurant l’équilibre naturel des sols et en mettant en avant la diversité, redonne une chance à ces cépages. Leur résilience face aux maladies et au stress hydrique, leur capacité à exprimer la typicité des terroirs et même leur potentiel aromatique renouvelé convainquent désormais des vignerons du Ventoux. Ces cépages, souvent endémiques de la région méditerranéenne, offrent des vins uniques, authentiquement enracinés dans leur lieu d’origine.
Le Carignan, dans ses versions blanche et noire, est probablement l’un des cépages « anciens » les plus courants, largement planté dans le Languedoc et en Provence jusqu’au début du 20 siècle. Il a été victime de sa mauvaise réputation due à des rendements excédentaires qui donnaient des vins peu qualitatifs dans les années 1970.
Mais en conduisant la vigne selon des méthodes biologiques, et surtout en limitant sévèrement les rendements, certains vignerons du Ventoux redécouvrent le potentiel du Carignan. En rouge, il propose des notes épicées, des fruits rouges subtils et une belle acidité, parfait pour des assemblages ou des cuvées en monocépage. Le Carignan blanc reste, quant à lui, plus rare, mais il éblouit parfois par son caractère vif et sa minéralité marquée.
Peu connu du grand public, l’Aubun est une variété noire très ancienne, typique de la vallée du Rhône et du sud de la France. Résistant à la sécheresse et très bien adapté aux sols arides qu'on retrouve autour du Ventoux, il a été en grande partie arraché au profit de cépages plus prestigieux.
Or, des vignerons bios de Mazan ou Bédoin y voient un nouvel intérêt. Utilisé en rouge ou en assemblage, l’Aubun produit des vins structurés mais frais, affichant souvent des arômes de baies sauvages ou d’herbes séchées qui racontent fidèlement le climat du Midi. Sa rusticité devient aujourd'hui une qualité, dans un contexte de réchauffement climatique où la résistance des cépages est un critère crucial.
Originaire de la région voisine, la Verdesse est une vieille variété blanche qui a bien failli disparaître. Très délicate à cultiver, elle a été progressivement éliminée au XX siècle. Pourtant, elle est désormais adoptée par quelques vignerons expérimentaux du Ventoux qui cherchent à diversifier leurs vins blancs.
La Verdesse offre une palette aromatique élégante : des notes florales et d’agrumes relevées par une fraîcheur naturelle qui tranche admirablement sous le climat méditerranéen. Certaines des plus petites caves artisanales de la région l’utilisent en micro-cuvées qui se vendent souvent en édition limitée, pour le plus grand bonheur des amateurs curieux.
Ancêtre du Cinsault, l’Oeillade noire refait surface grâce aux vignerons bios convaincus que l’avenir des vins méditerranéens passe aussi par des cuvées légères, digestes, et peu tanniques. Avec ses petits grains noirs qui évoquent des myrtilles au soleil, il offre des arômes frais, des tanins soyeux, et une buvabilité qui séduit un public à la recherche de vins moins puissants mais toujours expressifs.
La remise en culture de ces anciens cépages ne relève pas d’un simple effet de mode. Plusieurs facteurs en font un choix cohérent pour les vignerons bios :
Si les anciens cépages réapparaissent dans les vignobles du Ventoux, c’est aussi grâce à des initiatives collectives. Les associations de vignerons, comme le « Syndicat des Vins Ventoux », mettent en avant ces variétés dans leurs programmes de recherche et leurs communications.
On peut également citer les projets de préservation du patrimoine ampélographique en Provence, soutenus par des centres de recherche comme l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin). Ces recherches permettent de préserver la biodiversité des cépages et d’évaluer leur potentiel commercial tout en luttant contre la standardisation des vignobles.
Faire revivre un ancien cépage, c’est un peu comme retrouver un vieux livre qui dormait au fond d’une bibliothèque : on y redécouvre une histoire, riche et pleine de nuances. Au Ventoux, ces cépages oubliés ne renaissent pas en nostalgie, mais bien comme un pont entre le passé et l’avenir viticole. À la question du climat, ils apportent une réponse enracinée. À la quête d’authenticité, ils proposent une profondeur rare.
Les vignerons bios du pied du Ventoux nous rappellent que dans le vin, chaque choix compte : celui du cépage, du mode de culture, mais aussi de la transmission. Si certains noms – Aubun, Verdesse ou Oeillade – restent marginaux dans les rayons, ils véhiculent une promesse : celle d’un vin fidèle à sa terre, éclairé par ses racines et inspiré pour demain.